PARIS
14 SEPTEMBRE- 25 NOVEMBRE
Du 14 septembre au 25 novembre, la Fondation H présente Pensées du tremblement, exposition personnelle de l'artiste malien Ange Dakouo.
Avec Pensées du tremblement, Ange Dakouo conçoit un espace protégé du monde en crise. Pour ce faire, il produit des tapisseries à partir de ce qu’il nomme des « grigris tissés » : des briquettes de papier journal cartonnées et ficelées dont l’assemblage à l’aide de fil de coton flirte habilement avec les arts du textile. Motif central de sa pratique qu’il reproduit à l’infini, il se singularise, comme El Anatsui avant lui, par la légèreté d’un effet drapé à partir d’une collecte de matériaux récupérés. En suggérant plus spécifiquement les silhouettes de costumes traditionnels maliens, l’artiste redouble la relation que son œuvre entretient avec la corporalité, déjà manifeste par l’accumulation d’amulettes, que l’on porte sur soi pour se protéger. La fabrication de grigris s’inspire directement des amulettes destinées aux nourrissons observées lors d’un travail de recherche qu’il a mené entre 2015 et 2018 chez les chasseurs Donso du Mali, confrérie qui assure la protection des mémoires et savoirs spirituels ancestraux de leur territoire. Par la référence à cette communauté d’hommes qui prône la cohésion entre les individus et avec leur environnement, Ange Dakouo offre à son tour la possibilité d’un lieu de protection mutuelle et de transmission entre les œuvres et le public.
Ces tapisseries, tantôt sculptures murales, tantôt installations immersives, sont traversées par une dimension éminemment picturale. « Travaille avec les nuances », lui avait suggéré l’artiste Abdoulaye Konaté, son ancien directeur de mémoire au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia de Bamako, produisant depuis des compositions en camaïeu, semblable à des aplats de couleurs sur la surface d’une toile. Lorsque le journal est laissé brut, l’artiste conçoit alors des effets de dégradé en variant la densité d’encre sur le papier qu’il choisit. Hommage à son père imprimeur qui rentrait chaque soir avec des piles de publications, les mots couchés sur le papier deviennent pour l’artiste un ensemble de lignes pointillées cryptiques pour lesquelles seule une expérience sensorielle avec l’objet peut en suggérer les significations.
Les œuvres qui habitent l’espace de cette exposition semblent ainsi marquer un tournant dans la pratique de l’artiste. En plus d’une tapisserie de grigris tissés, il produit également à l’issue de sa résidence de création deux autres pièces, dont les détours et variations du motif usuel renforcent la puissance et la pertinence de son geste. Oscillant principalement du beige au noir, la sage palette de la série intitulée Kulekanw – « les cris » en bambara malien – met en exergue une tâche de peinture rouge apposée sur chaque pièce : une plaie béante, un pointeur indiquant une position ou une destination sur une carte illisible, ce point invite à la vigilance face à un monde en crise, un monde tremblant dont seules les réflexions collectives contre les abus de pouvoir et la recherche de profit effrénés peuvent en assurer l’avenir. Produire des pensées du tremblement, c’est avant tout inviter au refus des idéologies oppressives et inopérantes dans nos contextes troubles pour ouvrir les possibilités d’un monde pacifié, dans lequel les individus, les cultures et les nations seraient aussi divers qu’unifiés. L’emprunt altéré de la formule d’Edouard Glissant – qui évoquait une pensée au singulier du tremblement – suggère les tâtonnements de ces réflexions menées par Ange Dakouo et le rôle du public dans la poursuite de son entreprise.
La première variation de la série est une tapisserie en contreplaqué noircie par le feu et reliée par du fil de fer, comme l’allusion ambiguë des conséquences des instabilités politiques planétaires et l’occasion de faire table rase. Quant à la seconde variation, l’installation majeure de l’exposition renvoie plus frontalement à la cartographie. En détourant au préalable un planisphère quelconque, il produit à partir du tracé sommaire des différents pays du monde, des visages humains semblables à des masques, dont l’ossature en carton est recouverte de papier mâché séché puis assemblé comme à son habitude. Figures siamoises grimaçantes, figures de damnés, elles sont l’incarnation de l’interdépendance des nations dans la survie ou l’extinction de l’humanité. Tisser les peuples, tisser les gens, tisser les âmes, Ange Dakouo ouvre, par l’opacité de ces tapisseries composites, la possibilité de faire des ruines d’un monde ébranlé le terrain d’heureuses révolutions.
Virginia Quadjovie
BIOGRAPHIE ANGE DAKOUO
Né en 1990, Ange Dakouo est un artiste malien, diplômé du Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia de Bamako en 2017. Il est l'un des fondateurs du collectif Tim'Art avec lequel il expose régulièrement. Ange Dakouo s’inspire de l’univers et des costumes des chasseurs traditionnels du Mali qui revêtent une valeur refuge d’authenticité et de connaissances protégées. Elles valent également protection et exorcisent des périls de la vie. De pliages de papier journal,en mémoire de son père imprimeur, en ligotages par du fil de coton nait le concept de son œuvre, le grigri, reproduit et relié à l’infini.