PARIS
17 JANVIER - 16 AVRIL 2022
Déployée sur les deux étages de la Fondation H, son installation est pensée comme un lieu organique de rencontre, de partage et de méditation où le public est invité à participer en déposant des chutes de tissus tout au long de l’exposition. Par la torsion, le nouage et la suspension de pièces textiles glanées au Burkina Faso et en France, Hyacinthe Ouattara retranscrit sa fascination pour l’organique et interroge la notion de lien. Son œuvre est une réflexion sur la mémoire et l’identité au sens large, animée par un enregistrement sonore des rues d’Accra capturé en 2013. Il explore les frontières entre végétation et urbanité, équilibre et déséquilibre, apparition et disparition, représentation et intimité, célébrant ainsi l’humain dans toute son ambivalence et questionnant notre rapport au vivant.
Né en 1981 au Burkina Faso, Hyacinthe Ouattara est un artiste pluridisciplinaire principalement autodidacte. Il vit et travaille aujourd’hui en France. Il a notamment participé à des expositions à l’Institut Français de Ouagadougou (2013) et à la 13ème Biennale du Caire (2019), à la Biennale de Dakar (2022) et aux foires AKAA (Paris, 2018), Cape Town Art Fair (2020).
Bonjour Hyacinthe Ouattara, tu présentes à la Fondation H – Paris, Habiter le monde qui nous habite, fruit de ta résidence, qui consiste en une installation mêlant textiles, objets divers, sons et vidéos et qui va bien au-delà. Peux-tu nous en dire quelques mots ?
J’essaie modestement de mettre en place un imaginaire pour que l’on vive des instants, pour que chacun vive un moment unique dans cet espace, et reçoive ce que j’ai à offrir au monde. J’ai envie que cet espace soit un lieu où l’on peut se parler à soi-même, parler au monde, respecter les éléments qui nous entourent. Pendant ma résidence, j’ai eu la liberté d’aller et venir comme bon me semble, comme à l’atelier. J’ai parasité la Fondation H avec notamment ce textile chargé émotionnellement. Il y aura aussi pendant l’exposition une œuvre participative. J’invite les visiteurs à laisser un bout de tissus, un vêtement, du textile. Nous allons créer un monticule. L’expérience sera filmée et nous allons projeter le film qui deviendra un élément de l’installation en boucle.
Tu déploies ton installation sur les deux étages de la Fondation H, du sol au plafond, c’est une œuvre immersive avec une dimension d’infini. L’infini, dans les boucles, sonores et vidéos, l’idée de cycles, dans la mise en espace, n’est-ce pas…
Oui ! C’est l’infinie matérialité : je veux que l’on rentre dans le ventre de quelque chose.
Il y a trois entités dans l’espace principal, au sol, au mur et dans l’espace, qui communiquent mais peuvent être indépendantes. Par exemple, une sorte de « mur des offrandes » avec des tamis, des perles, des petits drapeaux. On est dans le zen. Il y a en face ce mouvement textile, ce lieu qui rappelle le toguna dogon, lieu de la gestion des conflits dans les sociétés. Il faut se baisser pour entrer comme pour sortir ! Pour y avoir la clé de l’humanité, il faut la clé de l’humilité. Après il y a la quête…
Le second espace est une sorte de grotte, la chambre secrète. Il y a beaucoup de légèreté en bas et en même temps de la densité. On y trouve une installation sonore.
Accra est une ville très sonore et j’y ai capté, en 2013, avec mon dictaphone, des bruits. Les bruits de la vie, les bruits de la ville. Il y a ceux de l’église, la voiture, etc. Il y a beaucoup de mouvement. Or, l’environnement joue beaucoup dans ce que je fais. À Accra, je n’ai pas senti une certaine âme de la ville et je n’ai pas pu créer. J’ai donc enregistré le pouls de la ville. C’était aussi la seule façon que j’ai trouvée pour travailler dans cette ville, avec la vidéo et l’installation. Cela donne ici une installation sonore à partir d’un montage d’une dizaine de minutes. J’expose aussi des photos en noir et blanc, des choses très fortes, mais avec beaucoup de respirations, des pauses.
Tu parles de pause, de respiration que l’on retrouve dans ton œuvre avec les jeux des vides et des pleins, une rythmique, ce sont les mondes visibles et invisibles, le physique et la métaphysique, le monumental et le détail infiniment petit… La matière noire, l’atome, la cellule, les êtres vivants, la Terre…
C’est ça, il y a le silence comme dans la musique, un tempo, un mouvement. Il y a une musicalité dans mon travail, un rythme. En fait, quand tu rentres dans mon travail, c’est comme si tu étais connecté. Tu ressens des fréquences par lesquelles je me laisse guider. C’est comme si c’était le battement cardiaque de la Terre et du Cosmos qui dictait mes gestes. Certes, il s’agit de ma propre sensibilité, mais liée à une partie de notre univers, au rythme de ce battement cardiaque qui crée cette densité-là. Comme si ça venait du ventre, de l’intérieur de la Terre. Ce sont des évocations des éléments de la nature, de mon histoire aussi que j’ai envie de partager avec le reste du monde. C’est aussi une forme de petit roman. Et pour moi, c'est important que ce roman éphémère soit le roman de l’humanité parce que j’y ai mis toute mon énergie, je l’ai conçu avec beaucoup d’amour et d’investissement.
Il s’agit donc bien de rencontre, aller vers autrui tout en étant soi-même…
Habiter le monde qui nous habite c’est simplement être. La Terre, c’est un lieu de transition et c’est en même temps notre domicile, mais ce n’est pas notre domicile éternel. Donc une autre façon d’habiter cette Terre, c’est d’être en osmose avec elle, de manière à ce que cette harmonie puisse profiter à tout le monde, sans passer à côté de soi-même. Ainsi, le processus de création est important. C’est la poétique de l’œuvre qui m’intéresse. La création de ce tempo, de ce flux. La poétique, c'est ce qui est, alors que la démarche est l’explication littérale.
Une poétique que le textile te permet de développer : vêtement, couverture, abris, protection, ornement, il est multiple. Nous retrouvons aussi au cœur de ton travail l’idée de la mémoire ou des mémoires avec les chutes, les morceaux, les découpes, le textile morcelé, tissé, recomposé, au travers du raccommodage, de la couture, tu tresses aussi… Tu lies le tout à l’humanité.
Oui, parce que ce sont les hommes qui l’ont utilisé et que le textile fait partie de l’identité d’une société. Je fais le parallèle avec la mémoire et les histoires parce que ces bouts, ces chutes de tissus évoquent forcément une vie antérieure. Je suis sensible au textile parce que c’est vibrant, c’est quelque chose de vivant qui a eu beaucoup de vies. C’est comme si je les respectais tout en leur donnant un autre sens. Et quand je travaille, il y a l’idée de créer des liens entre toutes ces chutes pour donner à voir une cartographie de notre monde intime, de notre monde intérieur. Je ne saurais pas dire exactement ce qui m’attire dans ce matériau, mais j’aime le sublimer. Les textiles sont des lieux uniques, des mondes différents qui se côtoient dans mes œuvres. La scénographie de notre espace, c’est une poétique.
Quels sont tes outils ?
C’est le fil, c’est l’aiguille, comme crayon. J’aime l’idée de la couture, il y a quelque chose de sensuel en elle. Il y a beaucoup de corps à corps parce que tu vis avec l’œuvre. J’aime le geste, il y a de la fragilité dedans, il faut obligatoirement être patient. Ça apprend l’humilité.
L’art te permet de te dévoiler, de te révéler. C’est intime et il y a cette délicatesse et une fragilité tant dans les récits que tu portes que dans les matériaux, la façon dont tu agences les éléments qui composent ton œuvre…
Quand on montre sa fragilité, on montre sa sincérité quelque part, c’est ça l’art pour moi. L’art est le reflet de l’humain, c’est le reflet de l’âme, de ce qu’on dit, de ce qu’on est. Je pense que l’on peut évoquer l’art à travers de nombreuses pistes, mais toujours rattachées à l’histoire de l’humanité. Quand j’étais gamin, j’aimais beaucoup dessiner et la première peinture que j’ai vue de ma vie, c’est un panneau publicitaire dans mon village. Je passais des heures et des heures à le regarder. Mon premier rapport avec le dessin, ce sont les patrons de ma mère et de ma grand-mère, sur lesquels elles traçaient, dessinaient, annotaient. Je présente ces archives de mon enfance dans l’exposition. C’est la première fois que je montre des archives de cet ordre-là. Certaines datent d’il y a plus de 50 ans ! Il y a une charge émotionnelle forte dans ces archives familiales.
Tu peux te raconter, toucher l’autre à ta manière…
Je pense que l’art n’a pas de frontières. Je viens d’un village, Diebougou (Burkina Faso), où il n’y a pas d’Académie des Beaux-Arts. C’est une chance de ne pas être passé par une école, parce que ça me donne beaucoup de liberté. C’est l’histoire de mon pays, l’histoire de mon passé, qui est là dans mon travail. Il vient d’où je viens.